Etonnant de voir certains candidats de gauche fustiger l’idée d’une caisse maladie cantonale publique – pourtant nommément citée mot pour mot dans leur programme électoral – en affichant d’emblée une supposée impuissance cantonale – tout se jouerait à Berne – et invoquant paradoxalement le bréviaire antiétatique classique : atteinte à la concurrence, mauvais risques (sic!), coûts d’administration disproportionnés, engagement de personnel, investissements publics conséquents. Public. Le terme serait-il devenu tabou en période électorale ?
Un ministre visionnaire qui a eu la responsabilité conjointe de l’action sociale et de la santé à Genève, le radical Guy-Olivier Segond, avait coutume de rappeler que « la politique, c’est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire ». Autrement dit, il faut savoir faire preuve de discernement pour identifier les problèmes, et d’audace pour faire bouger les lignes en vue de trouver des solutions concrètes qui impactent la vie des gens.
Dans un dossier voisin, celui de la régularisation des sans -papiers, on m’objectait aussi que tout devait se régler à Berne et qu’au final on ne pouvait rien faire, après des dizaines d’années de surplace de cet épineux dossier. En travaillant avec tous les partenaires et en décidant d’emblée de jouer la carte du canton pilote, il a été possible de réaliser en deux ans l’opération Papyrus qui a conclu à la régularisation de quelque 3500 personnes, dont une majorité de femmes travaillant dans l’économie domestique. On aurait pu imaginer que le projet continue, mais personne n’a pris d’initiative dans ce sens. C’est pourtant un vrai combat en faveur de la justice sociale.
Brandir une impuissance pour justifier d’une inaction, c’est se trouver des excuses pour ne rien faire. Mais quand on l’applique au domaine de la santé, c’est choquant. C’est choquant car les prémisses invoquées sont erronées : il n’y a pas réellement de libre choix de l’assurance maladie obligatoire, les subsides sont un pis-aller sans maîtrise qui font porter à l’impôt la charge incontrôlée de primes décidées ailleurs, sans aucune transparence, et le vieillissement de la population n’est pas la cause de l’envolée des primes.
Une caisse cantonale publique n’est sans doute pas la panacée, mais elle ouvre le débat sur les réserves en postulant une garantie de l’Etat qui existe déjà, de fait. Elle permet de garantir la transparence des coûts et surtout la fixation des primes. Elle ouvre la possibilité sérieuse d’engager des campagnes de prévention, avec un impact réel sur la santé à moyen et long terme. Elle oblige à repenser la prise en charge de proximité et le lien entre social et santé. Et si d’aventure l’action devait débuter à Berne, que n’investissons-nous pas ce combat au plan fédéral !
Le dossier de l’assurance maladie ne doit pas procéder d’une approche administrative fataliste, aux antipodes de ce qu’est fondamentalement la politique : une espérance de justice sociale. L’ambition de voir grossir les rangs des bénéficiaires de subsides trahit l’objectif de dignité qui s’acquiert par la capacité de rester autonome, si nécessaire avec la protection de l’Etat.
C’est bien dans le but de faire bouger les lignes et de faire aboutir des projets que des citoyens et citoyennes de toutes tendances et de tous horizons se sont réunis au sein du mouvement Libertés et Justice sociale.
-Pierre Maudet- |